Les femmes d'artistes by Alphonse Daudet

Les femmes d'artistes by Alphonse Daudet

Auteur:Alphonse Daudet [Daudet, Alphonse]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2006-01-20T05:00:00+00:00


NINA DE B…

* * * * *

VII

LA BOHÈME EN FAMILLE

Je ne crois pas qu'on puisse trouver dans tout Paris un intérieur plus bizarre et plus gai que celui du sculpteur Simaise. La vie dans cette maison-là est une fête perpétuelle. À quelque heure que vous arriviez, vous entendez des chants, des rires, le bruit d'un piano, d'une guitare, d'un tam-tam. Si vous entrez dans l'atelier, il est rare que vous ne tombiez pas au milieu d'une partie de volants, d'un temps de valse, d'une figure de quadrille, ou bien parmi des préparatifs de bal, des rognures de tulle, de rubans traînant à côté de l'ébauchoir, des fausses fleurs accrochées aux bustes, des jupes pailletées qui s'étalent sur un groupe encore humide.

C'est qu'il y a là quatre grandes filles de seize à vingt-cinq ans, très-jolies, mais très-encombrantes; et quand ces demoiselles tourbillonnent leurs cheveux tombant dans le dos avec des flots de rubans, de longues épingles, des boucles voyantes, on dirait qu'au lieu de quatre elles sont huit, seize, trente-deux demoiselles Simaise aussi fringantes les unes que les autres, parlant haut, riant fort, ayant toutes cet air un peu garçon particulier aux filles d'artistes, des gestes d'atelier, un aplomb de rapin, et s'entendant comme personne à éconduire un créancier ou à savonner la tête du fournisseur assez insolent pour présenter sa note en temps inopportun.

Ces jeunes personnes sont les véritables maîtresses de la maison. Le père travaille dès l'aube, sculptant, modelant sans relâche, car il n'a pas de fortune. Dans le commencement, il était ambitieux, s'efforçait de bien faire. Quelques succès d'exposition lui présageaient une certaine gloire. Mais cette famille exigeante à nourrir, habiller, lancer, l'a maintenu dans la médiocrité du métier. Quant à Mme Simaise, elle ne s'occupe de rien. Très-belle au moment du mariage, très-entourée dans le monde artistique où son mari la présenta, elle se condamna à n'être d'abord qu'une jolie femme et plus tard qu'une ancienne jolie femme. D'origine créole, à ce qu'elle prétend—bien qu'on m'assure que ses parents n'ont jamais quitté Courbevoie,—elle passe ses journées du matin au soir dans un hamac accroché tour à tour dans toutes les pièces de l'appartement, s'évente, fait la sieste, avec un profond dédain pour les détails matériels de l'existence. Elle a posé si souvent à son mari des Hébé, des Diane, qu'elle se figure traverser la vie un croissant au front, une coupe à la main, chargée d'emblèmes pour tout travail. Aussi il faut voir le désordre du logis. On cherche une heure les moindres objets.

«As-tu vu mon dé?… Marthe, Éva, Geneviève, Madeleine, qui est-ce qui a vu mon dé?»

Les tiroirs, où gisent pêle-mêle des livres, de la poudre, du rouge, des paillettes, des cuillers, des éventails, sont remplis jusqu'au bord mais ne renferment rien d'utile; d'ailleurs, ils tiennent à des meubles bizarres, curieux, incomplets, endommagés. Et la maison elle-même est si singulière! Comme on déménage souvent, on n'a pas le temps de s'installer, et cet intérieur joyeux a toujours l'air d'attendre le rangement complet, indispensable, qui suit une nuit de bal.



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